Biographie

« Flash Forward » comme se plaisait à écrire leur prestigieux parrain de chanson, l’irremplaçable Serge : Grande braderie, Lille, 6 juin 2003, backstage. Johan accorde sa guitare, il parle du trac et de ses effets. À un mètre de là, harnaché d’un accordéon de plus de 8 kilos Guillaume saute sur place. Trois minutes plus tard ils électrisent 20 000 personnes.
C’est tout ça BLANKASS : calme et tempête.

Deux frangins, Guillaume, l’aîné, blond comme la « couleur des blés », c’est l’auteur-chanteur, et Johan, brun comme Keith. Lui, c’est le guitariste compositeur. Deux frangins insolents qui, du haut de leurs 10 ans toisent avec un sourire malicieux ce « vieux » qui sera le premier à les interviewer sur une chaîne nationale : Michel Denisot. Nous sommes, cette fois-ci, en 1983.
Pendant huit ans, ils sillonneront le territoire et les pays alentours pour inonder les scènes « punk » de leur insolence sous le nom de « Zéro de Conduite ». En chemin ils rencontreront Bono et The Edge, qui leur proposent de venir en Irlande enregistrer avec eux, Gainsbourg, qui les prendra sous son aile en devenant leur « parrain » et même les Clash dont ils assureront la première partie à l’Espace Balard. De quoi construire de sacrés souvenirs, certes, et grandir aussi.
1991, dangereusement calés sur la banquette arrière d’un taxi qui file à 140, sans lumière, sur une autoroute algérienne, ils décident que les petits punks doivent changer. Zéro de Conduite est mort, mais « À jamais fixé sur le blocnotes de leur mémoire » dirait Serge, encore lui.
BLANKASS débarque sur les ondes trois ans plus tard, est nommé dans les découvertes des Victoires de la Musique en 97 et dans la catégorie groupe de l’année en 98.

24 ans, 6 albums, des centaines de concerts et rencontres plus tard, nous voilà à Paris, quartier République. Il pleut et fait froid. Nous sommes le 22 janvier 2020 et c’est le lancement de la tournée faisant suite à la sortie de « C’est quoi ton nom ? ». La chanson titre passe en boucle sur la bande FM. L’Alhambra est sous le charme et les compteurs au vert.
La tournée de printemps se présente bien. Jusqu’à l’annonce d’un confinement.
La planète entière rentre à la maison.

Pour les garçons ce sera, un peu à contrecoeur au départ, normal, leur campagne berrichonne adorée.
Confinement forcé mais finalement heureux. Heureux et (un peu) productif.
Après les ‘légales’ semaines engourdies, Johan se remet au travail. Procédant comme toujours, il compose des mélodies en y plaçant du « yaourt » (comprenez des phrases rythmiques ne voulant rien dire) qu’il soumet ensuite à son auteur de frère. La première chanson naît d’une longue conversation avec l’ami Matthew Caws (chanteur de Nada Surf) au sujet de Tom Petty, une idole commune. Une compo qui, passée sous l’habile stylo de Guillaume va devenir une touchante ode pop à la fraternité, leur fraternité : « Pas d’autre toi ».
Malgré une passion parallèle prenante et chronophage, (Guillaume, artiste peintre reconnu et Johan, passionné télévisuel d’antiquités), d’ébauches en maquettes, l’album mettra un peu moins de deux ans à voir le jour.

Et nous voilà devant l’objet. « Si possible heureux » est le 7eme album studio des frères Ledoux.
Un album chaleureux, moderne, pop et optimiste. Un album de copains aussi. À l’image de la chanson titre, un duo avec la relève, Gauvain Sers, qui n’a pas oublié qu’avec Renaud, pour lui, il y avait eu aussi BLANKASS. Bijou pop délicieux déclinant vieillissement, accomplissement et plaisir. Autres copains de la bande : Stephan Eicher qui pose sa voix d’ancien punk (lui aussi) sur un texte se demandant à quel moment l’humanité a merdé « Un million », et Vianney. Fan de toujours, ce dernier offre son timbre si particulier à « Manqué », lignes imaginées par Guillaume après avoir vu un reportage sur deux frères biologiques séparés par la vie et qui se rencontrent pour la première fois.

Des copains donc, une production analogique signée du sorcier Dave Eringa (Calogero, les Who, Daltrey en solo ou encore les légendaires Manic Street Preachers), mais plus que tout de grandes chansons.
Le genre que la bande FM appelle des tubes : le groovy « Cet incident », l’énorme succès en puissance « Je sais que tu sais » bâti entre un beat électro, la poésie des couplets et un refrain accrocheur que vous garderez en tête même quand vos pieds seront usés d’avoir dansé. Un émouvant et totalement autobiographique hommage à leur ami Tignous, tombé sous les balles de la bêtise intégriste un jour de janvier chez Charlie, « Du papier, des crayons ».
Enfin, à la fois axe central et clou du disque : « Enfants ».

« Enfants », est une bouleversante balade piano-voix-cordes, très « Beatles », écrite en une traite, presque en transe, peu de temps après le début de la guerre en Ukraine. La télé passait en boucle ces images terrifiantes du théâtre de Marioupol où, malgré l’inscription « ?ET? » (« Enfants » en russe) peinte en lettres géantes, un déluge d’acier s’était abattu. Faisant des dizaines de victimes innocentes. « Le sujet n’est pas de savoir qui a tort ou a raison », glisse Guillaume, « Le sujet est que ce sont toujours des innocents qui meurent pour des guerres menées par d’autres ».
Beau. Très beau.

Éric Jean-Jean